vendredi 3 février 2017

Lohengrin à l'Opera de Paris

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Musicalement, c'était ce que c'était: de bonne tenue, avec des chanteurs fatigués, sauf Michaela Schuster, magique en Ortrud magnétique. Il s'avère que le micro ne l'aime pas, mais l'entendre est vrai m'a fait comprendre sa réputation. L'orchestre de l'Opéra et Philippe Jordan de plus en plus en forme pendant que la soirée avance, et toujours au service du spectacle à défaut d'en constituer le clou.

C'est la mise en scène de Claus Guth qui ce clou du spectacble (à mon avis), parce qu'elle redonne du sens à un opéra romantique qui était perdu entre des interprétation traditionnelles débiles (le chevalier dans son armure brillante amoureux de la petite sotte qui promet de ne pas lui demander son nom, mais elle ne peut pas s'en empêcher, tu vois...), et des interprétations modernes ou la déconstruction peut tourner à la destruction (la foule des souris chez Neuenfels, le Lohengrin pervers pépère chez Konwitschny, l'illusioniste chez Herheim).

Comme dans son Rigoletto vu l'année dernière, Guth part du contenu émotionnel de l'opéra ("romantique") et travaille à le faire vivre sur scène: l'attente, le désespoir, le rêve, les doutes, la chair, la trahison... Avec les couleurs, avec les acteurs, avec des représentation simples Guth rend palpable ce qui, est à mon avis, toujours le vrai sujet chez Wagner: les affres de la vie intérieures, des hésitations et des pulsions. Wagner est bien plus freudien qu’épique, ou philosophique.

Au deuxième acte, un simple lâcher de confettis depuis le balcon sur une Elsa en robe blanche nous montre d'une image le bonheur prêt à être détruit. Au troisième, quand tout est consommé, c'est-à-dire que Lohengrin a tué Telramund et été rejeté par Elsa, c'est une simple plume blanche venue des cintres, qui matérialise tout l'écroulement. Au premier, un semi-ange-enfant, rêve d'Elsa, devient le rêve de toute la foule, celui du peuple, celui que le roi compte bien utiliser pour sa campagne de Hongrie... Les images parfaites, bouleversantes, abondent dans ce spectacle profond, fouillé.

Elsa est une jeune femme blessée, qui peine à exister au milieu des riches et puissants qui sont son entourage. Elle est prise entre un Telramund manipulé par sa (magnétique) sorcière de femme, et un roi qui a soif de conquêtes et de pouvoir (un roi, quoi). Elle, elle avait son frère, depuis tout petit, et puis il a disparu. Et en plus, les gens qui sont censé la protéger l'accusent d'avoir tué son frère par soif de pouvoir. Elle, elle rêve d'un beau chevalier, de pureté, et d'être sauvée. De son côté, seulement: la foule. Alors quand, pour seule défense à son procès, elle dit que son chevalier va venir la défendre, et que, bien sûr, personne n'arrive, la foule décide de faire comme si. Oh là là le miracle, Elsa, je t'assure, le voilà, ton chevalier et tout. Elle est folle, mais ils l'aiment, ils vont lui mentir, adoucir son sort. Et paf, au milieu de la foule, un inconnu tout bizarre est apparu, en position fœtale, nous tournant le dos, parlant à son cygne dans son sommeil. Il est arrivé un miracle, qu'on se racontait sans y croire, mais qui n'est pas du tout ce qu'on attendait, mais c'est un miracle quand même. Tout le monde veut y croire, et on peut passer au jugement de Dieu, c'est-à-dire le combat à l'épée entre l'accusateur d'Elsa et son chevalier bizarre,

Un envoyé de Dieu n'a pas forcément une armure brillante et des super-pouvoirs. La tradition chrétienne, c'est même plutôt le contraire. Guth nous offre un Lohengrin qui n'est qu'un homme, et même un peu moins -- une espèce de pariah, peut-être un peu autiste, perdu, pieds nus, tout froissé. Sa pureté est aussi ignorance, naïveté. C'est bien le fils de cet abruti de Parsifal, après tout. Qu'il dit. Les miracles arrivent: il apparaît, il triomphe de Telramund (et clairement lui-même n'a aucune idée de comment ça a pu arriver), et quand il est parti, à la toute fin, il revient (des morts? de Montsalvat? du coma?) quelques secondes le temps de ramener un terrifiant petit frère, dé-disparu, nouveau Führer du Brabant (c'est marqué, c'est pas moi qui le dis).

On partage les doutes d'Elsa, ceux du peuple, et ceux de Lohengrin. D'un bout à l'autre, on se demande si ce drôle de bonhomme ne pourrait pas, après tout, être vraiment un émissaire divin. Ou juste un simple, patient échappé de l'asile. Le deuxième acte est la démonstration de son impuissance devant ces doutes, devant un monde pour lequel il n'est pas fait. Il n'est certes pas en son pouvoir d'empêcher sa fiancée de douter de lui, encore plus quand elle est travaillée, avec des arguments solides, par la sorcière et son mari.

Au troisième acte, à la création de ce spectacle à la Scala en 2013, la scène de la chambre culminait en un viol: comme il lui impose le silence, Lohengrin tentait de s'imposer à Elsa, et quand elle lui demande son nom, elle le fait autant pour se défendre, pour le neutraliser et le remettre à sa place, que par une curiosité ou une angoisse incontrôlable. Surgit Telramund, que Lohengrin tue à coups de bâtons: dans ce double basculement, le viol et le meurtre, s'envole l'idée de la pureté absolue, le rêve de salut. Le viol a disparu, et je comprends pourquoi quand j'entends des ricanements dans la salle dès que le gros chanteurs et les vieilles chanteuses essaient de s'asseoir par terre, plus encore de figurer de l'érotisme. Dommage quand même, à mon avis, la scène perd en intensité avec la possibilité d'un Lohengrin monstrueux, c'est-à-dire trop humain. On a quand même gardé la combativité d'Elsa dans cette scène, l'idée qu'elle cherche à le remettre à sa place.

Il reste quelques représentations. J'essaierai de m'y glisser, et je vous conseille de faire de même. Après le départ du beau Jonas, il semble que les places soient plus faciles à trouver. Plein d'images ici: https://www.operadeparis.fr/saison-16-17/opera/lohengrin/galerie#slideshow0/6

dimanche 4 septembre 2016

Parsifal à Bayreuth: Klausflorianzauber

La nouvelle mise en scène de Parsifal à Bayreuth, dûe à Uwe Eric Laufenberg, avait défrayé la chronique avant même qu’on ne la voit: elle risquait d’offenser des musulmans, et on avait prévu un dispositif policier inhabituel pour protéger les festivaliers de la menace. L’anxiété était renforcée par des attentats en Allemagne dans les semaines précédents l’ouverture du festival; et puis le chef prévu (Andris Nelssons) se retira aussi quelques semaines avant la première, on racontait que le directeur musical du festival se permettait de diriger par dessus son épaule pendant les répétitions.

Au total, tout cela ressemble à une opération de communication qui aura assuré du buzz et de la publicité gratuite. Il y a bien quelques femmes voilées de ci de là, et quelques “manifestement musulmans”, mais la mise de Laufenberg peut difficilement être dite choquante. C’est même devenu étonnant, à Bayreuth, une mise en scène qui ne bouscule pas.
Absence de choc mise part, c’était une bien belle mise en scène de Parsifal -- la direction d’acteurs était fine et efficace, la dramaturgie plus encore, avec des situations très lisibles, très justes. Même au premier acte (mais moins qu’aux deux suivants), Laufenberg échappe à la tentation de l’immobilité qui guette avec des idées simples mais justes, et surtout très bien réalisées.

La longue exposition -- jusqu’à l’arrivée de Parsifal -- nous place dans une église chrétienne en Irak occupé, siège d’une communauté vivante avec ses bons moments (les pauvres hébergés dans l’Eglise pendant la nuit/le prélude ; les échanges entre les moines et la population locale…), et ses points aveugles (un enfant tombe en même temps que le cygne abattu par Parsifal mais la communauté ne s’indigne que du second ; Kundry est maltraitée par la foule parce qu’elle est une femme voilée qui revient d’Arabie…). Le héros nous apparaît comme un jeune homme de bonne famille trop simplet, qui ne sait pas ce qu’il cherche, ni vraiment ce qu’il est venu faire dans cette partie du monde, avec son brushing et ses fringues de créateurs. Le rideau se baisse pendant la Musique de transformation pour devenir écran, et nous emmène par l’esprit de cette petite Eglise aux confins de l’Univers, avant d’y revenir -- ce classique de la méditation n’a rien d’original, mais il fonctionne tout à fait dans la salle quasi-obscure du Festspielhaus, faisant de cette transformation un phénomène psychique banal et familier plutôt qu’une transsubstantiation mystérieuse (“zum Raum wird hier die zeit”).

La réticence d’un Amfortas très explicitement christique à l’office du Graal n’est pas non plus bien mystérieuse, quand on voit que ledit office consiste à le saigner quasiment comme un cochon pour recueillir son sang (“Nehmet Ihr meinen Blut”). Les éclairages, très réussis comme souvent à Bayreuth, nous montrent un office nocturne, toutes portes fermées, à la fois ésotérique et clandestin.

Le monde de Klingsor, au deuxième acte, est un monde d’orient, entre hammam et harem, bleu et blanc, et la mise en scène regorge d’autres bonnes idées simples, à commencer par la présence quasi continue, muette mais non inactive, d’un autre chevalier du Graal, possiblement Amfortas lui-même, qui donne à toute la scène de séduction une dramaturgie inattendue mais très immédiate. Avant cela la scène des filles fleurs est authentiquement sensuelle avec son côté “orient de pacotille”. Les filles fleurs déshabillent Parsifal, qui apparaît comme soldat américain armé jusqu’au dent, et l’entrainent dans la piscine, mais avec l’arrivée de Kundry, l’objet sexuel redevient petit garçon qui parle à sa maman depuis son bain. Elle le sèche, le sort. Pour contraster avec la séduction grossière (quoiqu’efficace) des Filles fleurs, on amène une table pour dîner en tête-à-tête, on verse du vin… La magie du théâtre est que cela suffit, et Parsifal et Kundry ne s’assient même pas à cette table (par contre je pense qu’est là que le chevalier possède Kundry à un moment). La folie de Klingsor est simplement celle d’un fanatique, pratiquant l’auto-flagellation et collectionnant les crucifix, y compris celui qui fait aussi godemiché et lui sert apparemment à contrôler Kundry. Pour que son monde s’écroule, il suffit de faire tomber les crucifix du mur. Parsifal, qui a remis son barda une fois qu’il a vu clair dans le jeu de Kundry, Brise la lance pour en faire une croix chrétienne, et repart dans l’errance.

Le troisième acte est plus efficace encore. Des décennies plus tard, Kundry et Gurnemanz tiennent à peine debout, se partagent un fauteuil roulant, et Parsifal est un vieux guerrier, devenu “force spéciale” tout en noir (comme il est écrit dans le livret). L’action se situe dans une plus petit église, dans une jungle tropicale luxuriante et étouffante, vraisemblablement quelque part en Amérique centrale (pas de carte ce coup-ci), peut-être dans un pays qui n’est pas occupé, ou en tous cas loin des endroits qui le sont. On comprend que Parsifal ait mis longtemps à les retrouver, et avec ce petit changement de décors (on a rapproché les panneaux et rajouté des plantes) et suggérée toute une errance, planétaire. L’enchantement du Vendredi Saint s’incarne en une pluie tropicale paradisiaque, façon Tahiti douche, les femmes se déshabillent pour en profiter, elles prennent soin de Kundry aussi. Pendant que Parsifal, Gurnemanz et Kundry prennent l’avion pour aller aux funérailles de Titurel en Irak (j’imagine), le flux envahit l’écran à nouveau, et nous voyons des masques mortuaires de Kundry, de Titurel, et de Wagner s’y abîmer. Pas de cadavre de Titurel dans le cercueil de la scène finale, seulement des cendres, déjà, qui glisse entre les mains du Fils -- très belle scène d’Amfortas à nouveau. A la fin l’Eglise s’ouvre tout simplement, pour révéler le plateau nu ; la foule, multi-confessionnelle, multi-ethnique, se retire en fond de scène d’où elle nous regarde à travers les nuées, éclairées de côté, réminiscente de la fin du Crépuscule de Chéreau d’il y a quarante ans: un peuple libéré, livré à lui-même.
On le voit, pas de thèse révélatrice, pas de concept fulgurant, pas de provocation -- juste un travail soigné pour essayer de raconter aujourd’hui comment on peut rechercher la compassion, l’amour, retrouver la communauté et échapper au communautarisme, sauver le sauveur. Je ne sais pas si ça fera date, mais j’y retournerai avec plaisir.

Pour moi, la seule ombre au tableau est le chef, Hartmut Haenchen, vétéran wagnérien appelé à la rescousse suite au retrait d’Andris Nelssons. Je ne lui dénie pas toute qualité: il sait jouer doucement, faire ressortir des contrechants, et il a de très beaux moments. Je ne lui dénie que l’essentiel: la direction est monotone, sans progression ni caractérisation des épisodes.
Klaus Florian Vogt en Parsifal est impressionnant d’aisance, de beauté et d’expressivité quand on est dans la salle du Festspielhaus. Peut-être convient-elle particulièrement bien à sa voix, à laquelle, à l’inverse, les micros ne rendent pas justice. Georg Zeppenfeld est magistral en Gurnemanz -- beau musicalement, suprêmement articulé (on comprend tout), incarnation juste et retenue. Mention spéciale également à l’Amfortas de Ryan McKinny, qui paye beaucoup de sa personne et de son corps d’athlète, mais qui chante encore mieux quand il est habillé. Un bien beau spectacle dans l’ensemble, fut-il “sans concept”. Après le coup de génie de la mise en scène de Herheim (2008-2012), il était probablement avisé d'explorer une direction différente. Commandez vos places pour 2017 à partir du 7 septembre (même si KFV sera remplacé par Andreas Schager: c'est bien aussi).

vendredi 8 juillet 2016

Le cas Lohengrin


Mardi, au lieu du Lohengrin de Milan 2012, nous eûmes celui de Munich 2010, célèbre surtout pour la prise de rôle du beau Jonas Kaufmann en Lohengrin, son premier Wagner complet, et les premiers temps de son association avec Anja Harteros, autre Deutsches Wunder de la décennie. Et vocalement, c'est un festin, que je ne suis pas sûr que nos deux héros sauraient répéter aujourd'hui, soit dit en passant. Dans ces deux voix, il y avait une pureté, une vie, un cristal saisissant. Avec sans, un Wolfgang Koch impeccable en puissant instrumentalisé, et une Michaela Schuster elle aussi en belle forme vocale pour une incarnation vénéneuse. Nagano, impeccable à son habitude, ne nous soulève pas de notre siège, mais laisse la musique se faire, même si ça a tendance à être dans un mezzoforte continu.

Mais bien sûr, c'est de la mise en scène semi-moderne de Jones que je voudrais surtout parler. Elle est très lisible et simple, en somme: ça commence avec Elsa qui fait, littéralement, les plans de son foyer rêvé, évidemment métonymie de son homme parfait. Et puis, dans une salle des fêtes quelconque, il y a des gens du Brabant (ils ont tous un costume avec un B, on peut pas se tromper -- mais à la fin ils seront tous habillés comme Lohengrin), un héraut télévisé perché sur une chaise d'arbitre (Nikitin, d'ailleurs, mais on n'y pense pas), un roi d'emblée un peu dépassé, et une Elsa qui cache sa détresse en s'affairant frénétiquement, bravache. Mais dès qu'on l'interrompt, sa détresse éclate. Telramund a un beau costume et des courtisans, il se prend très au sérieux. A la fin du premier acte, Lohengrin paraît, équivalent contemporain d'un chevalier en armure étincelante: beau gosse au jogging brillant, portant son cygne dans les bras, prompt à donner un coup de main à la construction de la maison, surpuissant et élégant dans le combat. Mais assertif comme dans les visions les plus traditionnelles, attentionné mais inflexible.

La construction du couple se matérialise dans celle de la maison suivant les plans initiaux d'Elsa, et, à la fin, c'est dans cette maison que la scène nuptiale a lieu, à l'issue de laquelle Lohengrin met le feu au lit conjugal (jamais servi) et au berceau (moins encore). C'est pouquoi j'appelai cette mise en scène "semi-moderne": elle est très littérale, ou plutôt très traditionnelle quant à la nature divine de Lohengrin, la pureté d'Elsa minée par le doute, l'honnêteté benête de Telramund... C'est le Lohengrin de Louis II de Bavière, celui des légendes médiévales, ce qui nous laisse, franco, avec le malaise profond de ce supposé droit divin qui force une jeune fille à l'épouser en échange de sa défense ; lui interdit de lui demander son nom ; l'humilie en public à plusieurs reprises (mais la mise en scène fait d'au moins une d'entre elles une aparté, redonnant du crédit à l'idée d'un Lohengrin délicat et aimant); l'abandonne à sort, elle, et aussi le royaume et l'empire qu'il était venu sauver...
Ce choix de littéralité chez Jones nous laisse entier le mystère de Lohengrin (je ne dis pas que c'est plus mal), son ambiguïté que d'aucuns trouveront normalement incompréhensible. Du coup c'est une mise en scène dans laquelle le grand travail créatif consiste "seulement" à renouveler les codes pour nous raconter exactement la même histroire à laquelle nous sommes habitués, mais sans les couches accumulées de folkore Neuschwansteinien. D'autres choix sont possibles -- l'inhumanité malade mentale, souffrante de Guth (que je comptais projeter ce soir là, mais comme son spectacle arrive à Paris en janvier, il semble qu'on préfère ne pas le regarder en vidéo avant) ; l'abus pervers de la crédulité d'enfants bagarreurs chez Konwitschny ; le mystificateur/charlatan chez Herheim ; l'artiste incompris (et odieux) chez Lehnhoff. Pour ma part, je ne peux lire le livret sans m'empêcher de penser que Lohengrin est en fait un espion hongrois, chargé de destabiliser l'adversaire, et qui y parvient avec merveille.

Plus que d'autres opéras, Lohengrin me semble au coeur de la question du cas Wagner: si vraiment nous prenons pour argent comptant que Lohengrin est un héros divin, Elsa une pure jeune fille qui ne peut s'élever au-delà de sa faible nature femelle, Ortrud une vilaine sorcière, nous sommes aux prises avec un Wagner assez détestable, et très adoré. Celui de Louis II, je le disais. Pour ma part, il me semble que l'ambiguïté du texte, littéral et musical, ne permet pas cette lecture simpliste, conte-et-légendesque. De même Siegfried n'est pas le héros aryen, Sachs n'est pas le Wagner parfait, Parsifal n'est pas la pureté même...

Il n'y a qu'à Wagner qu'on impose cette absence de distance par rapport à ces héros. A Verdi, à Shakespeare, à Hugo, à Racine, à Rostand même, on n'inflige pas l'idée (ridicule) que tel héros, parce qu'il se donne comme héros, est effectivement légendaire, épique voire épopique (TM), vertueux, divin. En ce sens, je comprends ceux qui dénoncent le wagnérisme comme un religion: ils ne font qu'observer les attentes liturgiques d'un certain public, d'ailleurs bien représenté dans la critique. Amis humanistes, en vérité je vous le dis: on peut aimer (et jouer) Wagner autrement, et on le fait. 




lundi 4 juillet 2016

Terfel, terrifiant et attachant



Terfel, Altinoglu et Homoki m'ont particulièrement botté. Je trouve que c'est un rôle parfait (peut-être un peu long?) pour Terfel, qui s'y exprime pleinement, est plein de nuances, à la fois terrifiant et attachant, désabusé et espérant. Son "Die Frist ist um" est superbe d'expression et de velouté. 

Chez Altinoglu, j'ai retrouvé le côté "quatuor à cordes" que j'avais beaucoup aimé dans Lohengrin à Bayreuth. Ce n'est pas tant la légèreté que le dialogue entre les pupitres qui le différencient ; et en même temps, ça n'est pas "clinique", sans lyrisme. 


La mise en scène d'Homoki est très convaincante, même si il faut un peu de temps pour s'ajuster. Se débarasser de toute l'imagerie maritime m'a semblé très intelligent, parce que ce qui, à l'époque de Wagner, était synonyme d'aventure et de capitalisme, nous est devenu pirate des caraïbes (ou Peter Pan). En placant l'action au siège de (genre) la Compagnie des Indes, il la resitue dans un univers de passions capitalistes et de fascination coloniale pour l'exotisme. En plus, il y a le traitement tellement fantomatique qu'il en est phantasmatique du Hollandais lui-même -- parfois il est pur esprit, invisible aux hommes mais les hantant quand même ; parfois il est homme tourmenté, fantomatique encore. L'effet oscille entre l'hystérique et le surnaturel, comme les flots qui s'animent dans le tableau (comme si on avait la fièvre) ou les coups de tabac qui font tanguer l'immeuble. Très juste. Et tout cela n'ôte rien (au contraire) au coeur de l'action, ces deux personnages romantiques en soif d'absolu, de fidélité, de moi dans ce monde de la révolution industrielle (et donc coloniale).

Bon, tout cela ne serait que des idées si ce n'était pas, en plus, très bien dirigé (d'acteurs), avec de l'illusion théâtrale très théatrale, même de près. Et puis une fois de plus, la magie du grand écran et de la haut définition, c'est une approche particulière de l'expérience opératique, mais wow.


On le rejoue le 10 août. Ou quand vous voulez. 

lundi 20 juin 2016

Le festival du 18bis est à vous, jusqu'au 18 août



L'été commence et je vous prépare un progamme de réjouissances jusque dans les profondeurs du mois d'août. Le festival du 18bis est le vôtre: venez partager vos découvertes et vos enregistrements favoris. Contactez-moi à zejulot@gmail.com pour suggérer un programme ou organiser un évènement.

En général, ce sera les lundi, mardi, vendredi et dimanche à 20h, audio ou vidéo. Une Participation aux Fraix de 5€ sera demandée. Voici quelques évènement déjà prévus, les autres seront selon vos propositions.

Celi se retourne dans sa tombe

Ma conviction est que des trésors sont cachés dans le legs EMI de Celibidache, ce génie/gourou du vingtième siècle qui refusait l'enregistrement et les disques. Cet été je propose de lui rendre un hommage inconséquent, en écoutant des disques et donc, en passant à côté de ce qu'il considérait (à raison) être l'expérience vraie de la musique. 
  • Bruckner 4 le 3 juillet
  • Bruckner 9 le 4 juillet
  • Ein Deutsches Requiem le 8 juillet
  • Messe en Si de Bach le 25 juillet
  • Héroïque (Symphonie n°3) de Beethoven le 26 juillet
  • Bruckner 6 le 29 juillet
  • Pathétique (Symphonie n°6) de Tchaikovsky le 1er août
  • Prokofiev 1 et 5 le 9 août
  • Debussy (La mer, Images) le 11 août
  • Ouvertures d'opéra italiens le 15 août

Bayreuth-im-Oberkampf


Nous indulgerons cet été une fois de plus le vice wagnérien de votre hôte, en projetant des opéras filmés:
  • Der Fliegende Holländer à Munich, dirigé par Altinoglu, Bryn Terfel dans le rôle titre le 1er juillet et le 10 août
  • Lohengrin à la Scala, dirigé par Barenboïm, avec Annette Dasch et Jonas Kauffmann et Evelyn Herlitzius, et René Pape -- le 5 juillet et le 7 août (à 16h)
  • Tristan und Isolde à Bayreuth, mise en scène Katharina Wagner, dirigé par Christian Thielemann, avec Evelyn Herlitzius et Stephen Gould, le 24 juillet à 16h et le 13 août à 16h
  • Parsifal à Bayreuth, mis en scène par Stefen Herheim et dirigé par Philippe Jordan, le 31 juillet à 16h et le 16 août à 16h
A très bientôt pour plein de musique,



dimanche 17 avril 2016

Ce legs Celibidache...

Une des grandes joies que m'apportent ce système très spécial, c'est une jouissance bien plus complète de l'inestimable legs Celibidache chez EMI. De loin (c'est-à-dire avec beaucoup moins de systèmes moins fins et moins justes), c'est impossiblement lent, solennel, maniéré, immobile, et cela s'applique d'ailleurs à tout dans ces quelques coffrets: les Beethoven, les Brahms, les Bruckner, la musique française, la contemporaine, les messes... même si quelques trésors surnagent tout de même, dans lesquels on entend le génie même au travers de la mauvaise reproduction (pour moi surtout les Tchaikovsky, les Wagner, les Bruckner bien sûr, le Requiem allemand).
A l'art loin de ce qui nous est familier de Celibidache (méditatif, libre, loin de la consommation et du cinéma, improvisé malgré, ou grâce, aux répétitions sans fin), s'ajoute la difficulté sonore: il s'agit de bandes de radio qui ne sont pas faites pour briller (à l'opposé par exemple des Pentatone d'aujourd'hui), et pour la plupart de prise faites à la Philharmonie de Munich, dont l'acoustique est très mate et ne met pas en relief les détails du tout. 

Mais dans les bonnes conditions, le naturel de ces disques est confondant, et ce qu'on entend, ce sont des dizaines de musiciens qui jouent librement et ensemble. Même là où on est très désarçonné (Requiem de Mozart comme si on s'était trompé de vitesse sur le tourne-disque), il y a une intensité quasiment individuelle de chaque instrument, et une écoute de tous par chacun de chaque instant (ou presque), qui sont assez caractéristiques de ce que Celibidache cherchait, et de ce qu'il expliquait d'ailleurs. Il y a aussi une impression d'être dans la salle, et une immersion dans l'oeuvre que je trouve inéluctable. On ne peut qu'imaginer ce que l'expérience d'être dans la salle aurait pu être, mais nous avons là une belle aide dans cette entreprise d'imagination. 

N'hésitez pas à venir nous voir pour juger par vous-même.