dimanche 4 septembre 2016

Parsifal à Bayreuth: Klausflorianzauber

La nouvelle mise en scène de Parsifal à Bayreuth, dûe à Uwe Eric Laufenberg, avait défrayé la chronique avant même qu’on ne la voit: elle risquait d’offenser des musulmans, et on avait prévu un dispositif policier inhabituel pour protéger les festivaliers de la menace. L’anxiété était renforcée par des attentats en Allemagne dans les semaines précédents l’ouverture du festival; et puis le chef prévu (Andris Nelssons) se retira aussi quelques semaines avant la première, on racontait que le directeur musical du festival se permettait de diriger par dessus son épaule pendant les répétitions.

Au total, tout cela ressemble à une opération de communication qui aura assuré du buzz et de la publicité gratuite. Il y a bien quelques femmes voilées de ci de là, et quelques “manifestement musulmans”, mais la mise de Laufenberg peut difficilement être dite choquante. C’est même devenu étonnant, à Bayreuth, une mise en scène qui ne bouscule pas.
Absence de choc mise part, c’était une bien belle mise en scène de Parsifal -- la direction d’acteurs était fine et efficace, la dramaturgie plus encore, avec des situations très lisibles, très justes. Même au premier acte (mais moins qu’aux deux suivants), Laufenberg échappe à la tentation de l’immobilité qui guette avec des idées simples mais justes, et surtout très bien réalisées.

La longue exposition -- jusqu’à l’arrivée de Parsifal -- nous place dans une église chrétienne en Irak occupé, siège d’une communauté vivante avec ses bons moments (les pauvres hébergés dans l’Eglise pendant la nuit/le prélude ; les échanges entre les moines et la population locale…), et ses points aveugles (un enfant tombe en même temps que le cygne abattu par Parsifal mais la communauté ne s’indigne que du second ; Kundry est maltraitée par la foule parce qu’elle est une femme voilée qui revient d’Arabie…). Le héros nous apparaît comme un jeune homme de bonne famille trop simplet, qui ne sait pas ce qu’il cherche, ni vraiment ce qu’il est venu faire dans cette partie du monde, avec son brushing et ses fringues de créateurs. Le rideau se baisse pendant la Musique de transformation pour devenir écran, et nous emmène par l’esprit de cette petite Eglise aux confins de l’Univers, avant d’y revenir -- ce classique de la méditation n’a rien d’original, mais il fonctionne tout à fait dans la salle quasi-obscure du Festspielhaus, faisant de cette transformation un phénomène psychique banal et familier plutôt qu’une transsubstantiation mystérieuse (“zum Raum wird hier die zeit”).

La réticence d’un Amfortas très explicitement christique à l’office du Graal n’est pas non plus bien mystérieuse, quand on voit que ledit office consiste à le saigner quasiment comme un cochon pour recueillir son sang (“Nehmet Ihr meinen Blut”). Les éclairages, très réussis comme souvent à Bayreuth, nous montrent un office nocturne, toutes portes fermées, à la fois ésotérique et clandestin.

Le monde de Klingsor, au deuxième acte, est un monde d’orient, entre hammam et harem, bleu et blanc, et la mise en scène regorge d’autres bonnes idées simples, à commencer par la présence quasi continue, muette mais non inactive, d’un autre chevalier du Graal, possiblement Amfortas lui-même, qui donne à toute la scène de séduction une dramaturgie inattendue mais très immédiate. Avant cela la scène des filles fleurs est authentiquement sensuelle avec son côté “orient de pacotille”. Les filles fleurs déshabillent Parsifal, qui apparaît comme soldat américain armé jusqu’au dent, et l’entrainent dans la piscine, mais avec l’arrivée de Kundry, l’objet sexuel redevient petit garçon qui parle à sa maman depuis son bain. Elle le sèche, le sort. Pour contraster avec la séduction grossière (quoiqu’efficace) des Filles fleurs, on amène une table pour dîner en tête-à-tête, on verse du vin… La magie du théâtre est que cela suffit, et Parsifal et Kundry ne s’assient même pas à cette table (par contre je pense qu’est là que le chevalier possède Kundry à un moment). La folie de Klingsor est simplement celle d’un fanatique, pratiquant l’auto-flagellation et collectionnant les crucifix, y compris celui qui fait aussi godemiché et lui sert apparemment à contrôler Kundry. Pour que son monde s’écroule, il suffit de faire tomber les crucifix du mur. Parsifal, qui a remis son barda une fois qu’il a vu clair dans le jeu de Kundry, Brise la lance pour en faire une croix chrétienne, et repart dans l’errance.

Le troisième acte est plus efficace encore. Des décennies plus tard, Kundry et Gurnemanz tiennent à peine debout, se partagent un fauteuil roulant, et Parsifal est un vieux guerrier, devenu “force spéciale” tout en noir (comme il est écrit dans le livret). L’action se situe dans une plus petit église, dans une jungle tropicale luxuriante et étouffante, vraisemblablement quelque part en Amérique centrale (pas de carte ce coup-ci), peut-être dans un pays qui n’est pas occupé, ou en tous cas loin des endroits qui le sont. On comprend que Parsifal ait mis longtemps à les retrouver, et avec ce petit changement de décors (on a rapproché les panneaux et rajouté des plantes) et suggérée toute une errance, planétaire. L’enchantement du Vendredi Saint s’incarne en une pluie tropicale paradisiaque, façon Tahiti douche, les femmes se déshabillent pour en profiter, elles prennent soin de Kundry aussi. Pendant que Parsifal, Gurnemanz et Kundry prennent l’avion pour aller aux funérailles de Titurel en Irak (j’imagine), le flux envahit l’écran à nouveau, et nous voyons des masques mortuaires de Kundry, de Titurel, et de Wagner s’y abîmer. Pas de cadavre de Titurel dans le cercueil de la scène finale, seulement des cendres, déjà, qui glisse entre les mains du Fils -- très belle scène d’Amfortas à nouveau. A la fin l’Eglise s’ouvre tout simplement, pour révéler le plateau nu ; la foule, multi-confessionnelle, multi-ethnique, se retire en fond de scène d’où elle nous regarde à travers les nuées, éclairées de côté, réminiscente de la fin du Crépuscule de Chéreau d’il y a quarante ans: un peuple libéré, livré à lui-même.
On le voit, pas de thèse révélatrice, pas de concept fulgurant, pas de provocation -- juste un travail soigné pour essayer de raconter aujourd’hui comment on peut rechercher la compassion, l’amour, retrouver la communauté et échapper au communautarisme, sauver le sauveur. Je ne sais pas si ça fera date, mais j’y retournerai avec plaisir.

Pour moi, la seule ombre au tableau est le chef, Hartmut Haenchen, vétéran wagnérien appelé à la rescousse suite au retrait d’Andris Nelssons. Je ne lui dénie pas toute qualité: il sait jouer doucement, faire ressortir des contrechants, et il a de très beaux moments. Je ne lui dénie que l’essentiel: la direction est monotone, sans progression ni caractérisation des épisodes.
Klaus Florian Vogt en Parsifal est impressionnant d’aisance, de beauté et d’expressivité quand on est dans la salle du Festspielhaus. Peut-être convient-elle particulièrement bien à sa voix, à laquelle, à l’inverse, les micros ne rendent pas justice. Georg Zeppenfeld est magistral en Gurnemanz -- beau musicalement, suprêmement articulé (on comprend tout), incarnation juste et retenue. Mention spéciale également à l’Amfortas de Ryan McKinny, qui paye beaucoup de sa personne et de son corps d’athlète, mais qui chante encore mieux quand il est habillé. Un bien beau spectacle dans l’ensemble, fut-il “sans concept”. Après le coup de génie de la mise en scène de Herheim (2008-2012), il était probablement avisé d'explorer une direction différente. Commandez vos places pour 2017 à partir du 7 septembre (même si KFV sera remplacé par Andreas Schager: c'est bien aussi).

vendredi 8 juillet 2016

Le cas Lohengrin


Mardi, au lieu du Lohengrin de Milan 2012, nous eûmes celui de Munich 2010, célèbre surtout pour la prise de rôle du beau Jonas Kaufmann en Lohengrin, son premier Wagner complet, et les premiers temps de son association avec Anja Harteros, autre Deutsches Wunder de la décennie. Et vocalement, c'est un festin, que je ne suis pas sûr que nos deux héros sauraient répéter aujourd'hui, soit dit en passant. Dans ces deux voix, il y avait une pureté, une vie, un cristal saisissant. Avec sans, un Wolfgang Koch impeccable en puissant instrumentalisé, et une Michaela Schuster elle aussi en belle forme vocale pour une incarnation vénéneuse. Nagano, impeccable à son habitude, ne nous soulève pas de notre siège, mais laisse la musique se faire, même si ça a tendance à être dans un mezzoforte continu.

Mais bien sûr, c'est de la mise en scène semi-moderne de Jones que je voudrais surtout parler. Elle est très lisible et simple, en somme: ça commence avec Elsa qui fait, littéralement, les plans de son foyer rêvé, évidemment métonymie de son homme parfait. Et puis, dans une salle des fêtes quelconque, il y a des gens du Brabant (ils ont tous un costume avec un B, on peut pas se tromper -- mais à la fin ils seront tous habillés comme Lohengrin), un héraut télévisé perché sur une chaise d'arbitre (Nikitin, d'ailleurs, mais on n'y pense pas), un roi d'emblée un peu dépassé, et une Elsa qui cache sa détresse en s'affairant frénétiquement, bravache. Mais dès qu'on l'interrompt, sa détresse éclate. Telramund a un beau costume et des courtisans, il se prend très au sérieux. A la fin du premier acte, Lohengrin paraît, équivalent contemporain d'un chevalier en armure étincelante: beau gosse au jogging brillant, portant son cygne dans les bras, prompt à donner un coup de main à la construction de la maison, surpuissant et élégant dans le combat. Mais assertif comme dans les visions les plus traditionnelles, attentionné mais inflexible.

La construction du couple se matérialise dans celle de la maison suivant les plans initiaux d'Elsa, et, à la fin, c'est dans cette maison que la scène nuptiale a lieu, à l'issue de laquelle Lohengrin met le feu au lit conjugal (jamais servi) et au berceau (moins encore). C'est pouquoi j'appelai cette mise en scène "semi-moderne": elle est très littérale, ou plutôt très traditionnelle quant à la nature divine de Lohengrin, la pureté d'Elsa minée par le doute, l'honnêteté benête de Telramund... C'est le Lohengrin de Louis II de Bavière, celui des légendes médiévales, ce qui nous laisse, franco, avec le malaise profond de ce supposé droit divin qui force une jeune fille à l'épouser en échange de sa défense ; lui interdit de lui demander son nom ; l'humilie en public à plusieurs reprises (mais la mise en scène fait d'au moins une d'entre elles une aparté, redonnant du crédit à l'idée d'un Lohengrin délicat et aimant); l'abandonne à sort, elle, et aussi le royaume et l'empire qu'il était venu sauver...
Ce choix de littéralité chez Jones nous laisse entier le mystère de Lohengrin (je ne dis pas que c'est plus mal), son ambiguïté que d'aucuns trouveront normalement incompréhensible. Du coup c'est une mise en scène dans laquelle le grand travail créatif consiste "seulement" à renouveler les codes pour nous raconter exactement la même histroire à laquelle nous sommes habitués, mais sans les couches accumulées de folkore Neuschwansteinien. D'autres choix sont possibles -- l'inhumanité malade mentale, souffrante de Guth (que je comptais projeter ce soir là, mais comme son spectacle arrive à Paris en janvier, il semble qu'on préfère ne pas le regarder en vidéo avant) ; l'abus pervers de la crédulité d'enfants bagarreurs chez Konwitschny ; le mystificateur/charlatan chez Herheim ; l'artiste incompris (et odieux) chez Lehnhoff. Pour ma part, je ne peux lire le livret sans m'empêcher de penser que Lohengrin est en fait un espion hongrois, chargé de destabiliser l'adversaire, et qui y parvient avec merveille.

Plus que d'autres opéras, Lohengrin me semble au coeur de la question du cas Wagner: si vraiment nous prenons pour argent comptant que Lohengrin est un héros divin, Elsa une pure jeune fille qui ne peut s'élever au-delà de sa faible nature femelle, Ortrud une vilaine sorcière, nous sommes aux prises avec un Wagner assez détestable, et très adoré. Celui de Louis II, je le disais. Pour ma part, il me semble que l'ambiguïté du texte, littéral et musical, ne permet pas cette lecture simpliste, conte-et-légendesque. De même Siegfried n'est pas le héros aryen, Sachs n'est pas le Wagner parfait, Parsifal n'est pas la pureté même...

Il n'y a qu'à Wagner qu'on impose cette absence de distance par rapport à ces héros. A Verdi, à Shakespeare, à Hugo, à Racine, à Rostand même, on n'inflige pas l'idée (ridicule) que tel héros, parce qu'il se donne comme héros, est effectivement légendaire, épique voire épopique (TM), vertueux, divin. En ce sens, je comprends ceux qui dénoncent le wagnérisme comme un religion: ils ne font qu'observer les attentes liturgiques d'un certain public, d'ailleurs bien représenté dans la critique. Amis humanistes, en vérité je vous le dis: on peut aimer (et jouer) Wagner autrement, et on le fait. 




lundi 4 juillet 2016

Terfel, terrifiant et attachant



Terfel, Altinoglu et Homoki m'ont particulièrement botté. Je trouve que c'est un rôle parfait (peut-être un peu long?) pour Terfel, qui s'y exprime pleinement, est plein de nuances, à la fois terrifiant et attachant, désabusé et espérant. Son "Die Frist ist um" est superbe d'expression et de velouté. 

Chez Altinoglu, j'ai retrouvé le côté "quatuor à cordes" que j'avais beaucoup aimé dans Lohengrin à Bayreuth. Ce n'est pas tant la légèreté que le dialogue entre les pupitres qui le différencient ; et en même temps, ça n'est pas "clinique", sans lyrisme. 


La mise en scène d'Homoki est très convaincante, même si il faut un peu de temps pour s'ajuster. Se débarasser de toute l'imagerie maritime m'a semblé très intelligent, parce que ce qui, à l'époque de Wagner, était synonyme d'aventure et de capitalisme, nous est devenu pirate des caraïbes (ou Peter Pan). En placant l'action au siège de (genre) la Compagnie des Indes, il la resitue dans un univers de passions capitalistes et de fascination coloniale pour l'exotisme. En plus, il y a le traitement tellement fantomatique qu'il en est phantasmatique du Hollandais lui-même -- parfois il est pur esprit, invisible aux hommes mais les hantant quand même ; parfois il est homme tourmenté, fantomatique encore. L'effet oscille entre l'hystérique et le surnaturel, comme les flots qui s'animent dans le tableau (comme si on avait la fièvre) ou les coups de tabac qui font tanguer l'immeuble. Très juste. Et tout cela n'ôte rien (au contraire) au coeur de l'action, ces deux personnages romantiques en soif d'absolu, de fidélité, de moi dans ce monde de la révolution industrielle (et donc coloniale).

Bon, tout cela ne serait que des idées si ce n'était pas, en plus, très bien dirigé (d'acteurs), avec de l'illusion théâtrale très théatrale, même de près. Et puis une fois de plus, la magie du grand écran et de la haut définition, c'est une approche particulière de l'expérience opératique, mais wow.


On le rejoue le 10 août. Ou quand vous voulez. 

lundi 20 juin 2016

Le festival du 18bis est à vous, jusqu'au 18 août



L'été commence et je vous prépare un progamme de réjouissances jusque dans les profondeurs du mois d'août. Le festival du 18bis est le vôtre: venez partager vos découvertes et vos enregistrements favoris. Contactez-moi à zejulot@gmail.com pour suggérer un programme ou organiser un évènement.

En général, ce sera les lundi, mardi, vendredi et dimanche à 20h, audio ou vidéo. Une Participation aux Fraix de 5€ sera demandée. Voici quelques évènement déjà prévus, les autres seront selon vos propositions.

Celi se retourne dans sa tombe

Ma conviction est que des trésors sont cachés dans le legs EMI de Celibidache, ce génie/gourou du vingtième siècle qui refusait l'enregistrement et les disques. Cet été je propose de lui rendre un hommage inconséquent, en écoutant des disques et donc, en passant à côté de ce qu'il considérait (à raison) être l'expérience vraie de la musique. 
  • Bruckner 4 le 3 juillet
  • Bruckner 9 le 4 juillet
  • Ein Deutsches Requiem le 8 juillet
  • Messe en Si de Bach le 25 juillet
  • Héroïque (Symphonie n°3) de Beethoven le 26 juillet
  • Bruckner 6 le 29 juillet
  • Pathétique (Symphonie n°6) de Tchaikovsky le 1er août
  • Prokofiev 1 et 5 le 9 août
  • Debussy (La mer, Images) le 11 août
  • Ouvertures d'opéra italiens le 15 août

Bayreuth-im-Oberkampf


Nous indulgerons cet été une fois de plus le vice wagnérien de votre hôte, en projetant des opéras filmés:
  • Der Fliegende Holländer à Munich, dirigé par Altinoglu, Bryn Terfel dans le rôle titre le 1er juillet et le 10 août
  • Lohengrin à la Scala, dirigé par Barenboïm, avec Annette Dasch et Jonas Kauffmann et Evelyn Herlitzius, et René Pape -- le 5 juillet et le 7 août (à 16h)
  • Tristan und Isolde à Bayreuth, mise en scène Katharina Wagner, dirigé par Christian Thielemann, avec Evelyn Herlitzius et Stephen Gould, le 24 juillet à 16h et le 13 août à 16h
  • Parsifal à Bayreuth, mis en scène par Stefen Herheim et dirigé par Philippe Jordan, le 31 juillet à 16h et le 16 août à 16h
A très bientôt pour plein de musique,



dimanche 17 avril 2016

Ce legs Celibidache...

Une des grandes joies que m'apportent ce système très spécial, c'est une jouissance bien plus complète de l'inestimable legs Celibidache chez EMI. De loin (c'est-à-dire avec beaucoup moins de systèmes moins fins et moins justes), c'est impossiblement lent, solennel, maniéré, immobile, et cela s'applique d'ailleurs à tout dans ces quelques coffrets: les Beethoven, les Brahms, les Bruckner, la musique française, la contemporaine, les messes... même si quelques trésors surnagent tout de même, dans lesquels on entend le génie même au travers de la mauvaise reproduction (pour moi surtout les Tchaikovsky, les Wagner, les Bruckner bien sûr, le Requiem allemand).
A l'art loin de ce qui nous est familier de Celibidache (méditatif, libre, loin de la consommation et du cinéma, improvisé malgré, ou grâce, aux répétitions sans fin), s'ajoute la difficulté sonore: il s'agit de bandes de radio qui ne sont pas faites pour briller (à l'opposé par exemple des Pentatone d'aujourd'hui), et pour la plupart de prise faites à la Philharmonie de Munich, dont l'acoustique est très mate et ne met pas en relief les détails du tout. 

Mais dans les bonnes conditions, le naturel de ces disques est confondant, et ce qu'on entend, ce sont des dizaines de musiciens qui jouent librement et ensemble. Même là où on est très désarçonné (Requiem de Mozart comme si on s'était trompé de vitesse sur le tourne-disque), il y a une intensité quasiment individuelle de chaque instrument, et une écoute de tous par chacun de chaque instant (ou presque), qui sont assez caractéristiques de ce que Celibidache cherchait, et de ce qu'il expliquait d'ailleurs. Il y a aussi une impression d'être dans la salle, et une immersion dans l'oeuvre que je trouve inéluctable. On ne peut qu'imaginer ce que l'expérience d'être dans la salle aurait pu être, mais nous avons là une belle aide dans cette entreprise d'imagination. 

N'hésitez pas à venir nous voir pour juger par vous-même. 

lundi 29 février 2016

Demain, Tableaux d'une exposition, à l'exposition

Demain soir, je vous propose d'écouter les deux version des Tableaux d'une exposition de Moussorgsky, d'abord dans la version pour piano, mais quasi orchestrale de Pogorelich,

Et ensuite dans la version orchestrée par Ravel, dirigée par ce sorcier de Celibidache à Munich:
zejulot@gmail.com pour participer...

dimanche 14 février 2016

Le charme pas très discret de la video

Un disque comme celui-ci m'aurait laissé sceptique a priori, et ce sont des soldes qui m'auront poussé à l'essayer. Je ne le regrette pas. D'abord parce que la différence technique change, à mon avis, l'expérience artistique. Avec la haute définition d'aujourd'hui et un (très) bon lecteur, on peut lire les partitions de l'orchestre, compter les mèches de cheveux du corniste, et, moins anecdotiquement, le film, qu'on imaginait monotone, d'un grand concert berlinois devient une galerie de portraits et la peinture de l'aventure humaine de cet orchestre et de son chef. Le son lui-même est presque au niveau des meilleurs audio, et le film devient de ce fait aussi un point de vue sur la partition, parce qu'on entend facilement la polyphonie, la construction harmonique, l'expression du chef. Cette plongée dans le coeur de l'orchestre, cette possibilité de regarder chaque musicien dans les yeux, crée une nouvelle expérience, bien fascinante.

De plus, il se trouve que ce surcroît d'intérêt est exactement ce dont Barenboim a besoin, lui qui alterne moments d'inspirations et de maîtrise sublimes, et baisses de tension où ça s'embourbe sérieusement. Artistiquement, ce n'est pas Celibidache, mais des fois ça s'en rapproche, et ça irradie un amour de cette musique et de ses musiciens qui est très touchant. Un disque tendre et grand, qui va m'inciter à vous projeter les autres symphonies de ce cycle dans les semaines et mois à venir.

vendredi 5 février 2016

Winterreise, cet univers...

Quand j'étais jeune, tout était plus simple, côté Winterreise. Enfin, je croyais que c'était simple, comme me le disait les guides du disque qu'il y avait à l'époque: on écoutait Hotter dans ce que j'appelle la Tubeuf-édition (que d'autres appelaient la collection référence de chez EMI, ou bien on se la jouait pas historique et bien sûr on avait Dietrich Fischer-Dieskau avec Gerald Moore chez DG, et c'était dans un beau coffret statutaire.
C'était d'autant plus simple que le DFD était somptueux vocalement, mais m'ennuyait pas mal. Et puis un jour je suis allé assister à l'enregistrement de la Tribune des Critiques de Disques, présentée à l'époque par Gérard Courchelle, et au milieu du ronron des écoutes en aveugle systématiques des versions "recommandables", l'homme avait le bon sens de faire entendre d'autres choses, des trucs sélectionnés, pas en aveugle du tout. Et il nous a fait entendre un bout de ça, qui à l'époque, était une rareté difficile à trouver: 
Ca m'a bouleversé et reste un des plus grands disques que je connaisse, qui m'accompagna dans bien des écoutes, et continue à le faire. J'étais sidéré par la façon dont les deux artistes s'écartaient radicalement de la quasi-berçeuse que je connaissais, de toute ambition de joliesse ; et aussi de comment ils s'entendaient, comment chaque note, chaque mot, était lourde de sens ; et comment la longue lamentation était devenue un roman. J'adore aussi la prise de son, simple et naturelle, et l'ambiance de concert, dans laquelle on sent le public lui-même se tendre au fur et à mesure (et tousser un peu trop, je l'admets). Mais ça restait simple, et je me disais; écoutons-nous ça un de ces soirs. Un ami me disait ça, même. Et, bêtement, j'en parlais à David le Marrec, qui est hélas souvent de bon conseil, et qui, tout en approuvant poliment mon choix, me répondait avec au moins vingt versions qu'il jugeait tout aussi impossibles. Il commençait par exemple avec ça, qui était certainement un choc aussi -- un voyageur bien pris par le froid, mais presque compteur pour enfants dans son éloquence.
Depuis, j'ai plongé dans un univers, celui du Winterreise, pour lequel, manifestement, des dizaines de version géniales existent, incroyablement différentes les unes des autres. Il y a bien sûr les ténors, les barytons, les mezzos... les pianos modernes et les pianoforte... les exégètes et les poètes... les tendres et les énervés... les diseurs et les lyriques. Je suis enfermé dans le Voyage d'Hiver. Quelques unes que j'aime beaucoup en ce moment: 
Un pianofortiste formidable et un ténor éloquent pour une version encore plus froide, brisée et poignante que Richter/Schreier. 
Le pianoforte a l'avantage de ne pas être beau -- je veux dire qu'il n'y a pas la tentation du "pianisme" et des somptuosités sonores (c'est pas mal non plus, ceci dit). Max van Egmond a un grand âge, et un grand art, et tous deux nous offrent donc une plongée apparemment sans attrait (et pourtant!) dans le texte. Mais assez d'austérité, voici par exemple un élève de Schwarzkopf dont Hans Hotter peut être fier, accompagné d'un de ces chefs dont on regrette qu'il ne se soit pas fait pianiste plus souvent: 
Pianiste schubertien d'exception, Demus était, à mon goût, bien plus intéressant pour accompagner DFD, et riche de l'expérience des versions austères, je mesurais à quel point la somptuosité de son timbre et de ses couleurs ne manifestait jamais au détriment du texte: 
Bref, ce que je voulais vous dire: vous devriez venir écouter le Winterreise à la galerie. Mais je ne peux pas vous dire dans quelle version. 








mardi 26 janvier 2016

Ca ne se passe pas souvent comme prévu

Ce soir, le programme initial a tout de suite été modifié par l'assistance, qui réclamait le 2ème concerto de Rachmaninov avant la 1ère sonate. Je n'avais sans doute pas écouté ça depuis quinze ans, mais à l'époque j'avais peu de doute que la version Richter/Sanderling/Leningrad du coffret Melodyia était le top, alors on a écouté ça.
Rachmaninov, en extrait, genre en générique d'émission, c'est toujours bien, mais avec cette équipe-là, ça m'a pris du début à la fin, il y a un souffle furtwanglérien, quelque chose qui vient de loin, mais qui vous emmène tout de suite dans un discours musical totalement évident et transparent. Les deux bonhommes semblent branchés directement sur l'âme de cette musique, et sans doute les musiciens de l'orchestre aussi, dont on ne peut que deviner les splendeurs, ces enregistrement appartenant éminnement à la catégorie "historique". Sous les doigts de Richter, l'immense piano de concert semble céder et demander raison à certains moments. Le son précaire ne m'a pas dérangé, et je me suis vite senti dans la salle, à Leningrad probablement dans les années 1960, pris dans l'émotion. D'autres néanmoins ont regretté que le souffle sonore se joigne au souffle épique et ont exprimé de la fatigue auditive à la fin du concerto. 

Mais du coup, la discussion est partie sur les interprétations et les prises de son, et par la magie de Qobuz, nous avons pu écouter plus d'une autre version de ce concerto, et c'est en cela qu'a consisté la seconde moitié de la soirée, au lieu de la sonate initialement prévue. Quand je vous disais que ça ne passe pas souvent comme prévu. Le même Richter avec Wislocki et l'orchestre national de Varsovie, disponible en repiquage 24 bits, ne m'a pas autant convaincu... 
...Mais c'est quand même diablement intéressant. Richter tape toujours très fort, mais la guerre semble plus avec l'orchestre et le chef qu'avec le piano ici, chacun semblant tirer la couverture à lui dans une direction opposée. L'orchestre tire vers quelque chose de très hédoniste, s'attarde dès qu'il en a l'occasion. Richter va dans une direction bien plus virile et motrice, et il gagne, mais c'est épuisant et un peu frustrant. 

J'ai bien aimé, par contraste aussi, la douce poésie de Simon Trpceski avec Vasily Petrenko et l'orchestre philharmonique royal de Liverpool:
C'est aussi différent de Richter DG que ça peut l'être, un Rachma de poésie douce, de clairs-obscurs, de couleurs nuancées, qui m'a porté bien plus volontiers, même si à la fin on se dit qu'on aimerait bien aussi écouter le second concerto de Rachmaninov -- celui qu'on connait. Mais c'est Lang Lang avec Gergiev qui a fait l'unanimité, et fera sans doute l'objet d'une prochaine écoute en HD (lundi prochain si vous voulez?):
Il y a de la force et de l'espiéglerie en même temps chez Lang Lang, et s'il n'est pas amoureux de cette musique, il fait bien semblant. Nous voici de retour à Leningrad Saint-Petersbourg, avec un orchestre de nouveau somptueux, plein de moelleux et de nostalgie et d'une précision qui ne vient pas forcément de leur chef, Gergiev des grands jours, inspiré, à longue vue, chez lui.




vendredi 22 janvier 2016

Lundi russe

Lundi, je vous propose d'enchaîner la 1ère sonate de Rachmaninov et la symphonie Manfred de Tchaïkovsky. C'est dans le cadre de mon programme de réhabilitation où j'écoute de temps en temps des oeuvres que je ne connais pas par coeur. Je suis donc, encore plus que d'habitude, en mode "exploration" où j'explore des versions au hasard des récompenses, des avis, des artistes que je connais plus ou moins... Pour le Rachmaninov, je me dis peut-être Lugansky, toujours impeccable, ici récompensé et bien enregistré. C'est de la musique dont il peut être difficile de distinguer l'unité au sein de la richesse d'inspiration, il nous faut donc du bel interprète, artiste autant que virtuose.
Et puis pour Manfred, j'en ai écouté quelques unes. Il y en avait des ennuyeuses, des bruyantes, des jolies auxquelles on ne comprenait rien. Ca n'est pas original, mais pour l'instant, Svetlanov tient la corde.
Bref, je suis au moins aussi ouvert aux suggestions que d'habitude. N'hésitez pas à venir avec vos fichiers ou vos CDs, à lundi soir...

jeudi 14 janvier 2016

Et Boulez alors?

Bon, si on passe nos journées à écouter du Bowie à la galerie, on pourrait aussi prêter une oreille à un autre grand musicien disparu, Pierre Boulez. Je ne connais pas grand'chose à sa musique, mais chaque occasion que j'ai eu de l'écouter dans de bonnes conditions -- au concert ou sur un bon disque avec un bon système -- j'ai été intrigué, intéressé, eu l'impression de découvrir quelque chose, que je comprenais mieux au fil des réécoutes. Une écoute impromptue hier soir de Pli selon pli m'a refait le même effet:
Mais, comme le dit Marrec, c'est un peu long quand même, pour fascinant que ça soit. Je vous proposerai donc volontiers d'écouter les Notations, dont j'ai un souvenir ému, et lui aussi apparemment. Evidemment on pourrait écouter Boulez par Boulez:
Mais pourquoi pas autre chose, par exemple Gielen, qui m'avait tellement emballé dans Beethoven?
Et puis après le petit quart d'heure des notations, comment illustrer Boulez chef d'orchestre? Ses Ravel ont excellent presse, mais j'avoue une certaine appréhension devant cette musique qui ne m'est pas familière et m'ennuie plus souvent qu'autre chose. En même temps, ces soirées à la galerie m'ont plus d'une fois donné accès à des musiques dont je n'étais pas familier, et c'est un peu pour ça que je les organise.
Mais si je suivais ma pente naturelle, ce serait sans doute Mahler, et l'insupportable, cataclysmique sixième:
Qu'en pensez-vous? C'est lundi à 20h, on fera comme vous voulez.


lundi 11 janvier 2016

Et ce soir, Brahms par Gilels et Jochum, redécouvert

J'avais bien d'autres idées en tête, mais ce classique absolu vient de ressortir en 24bits, et un rapide premier coup d'oreille me confirme que, si l'esthétique très "DG" demeure, on gagne une richesse de timbres et d'intentions qui ne peut pas se manquer. Rendes-vous ce soir à 20h donc, pour redécouvrir ce monument, les deux concertos de Brahms par Gilels avec Jochum qui dirige le Philharmonique de Berlin. C'te luxe.

PS -- Blogger s'obstine à prétendre que je suis en Californie. Quand je dis "ce soir", c'est mardi 12 janvier 2016. A 20h au 18, bd Voltaire.

Ce fut Currentzis...

Enfin, juste le Tchaikovsky, avec une violoniste qui s'avère être une jolie jeune femme. Et puis ensuite, à la demande des présents, le troisième concerto de Beethoven avec Gilels et Szell à Salzbourg en 1969:

Et puis tant qu'on y était, on a enchaîné avec la cinquième d'anthologie qui suit dans le disque -- il y a la rigueur presque raide de Szell, et la tradition de suavité (et de virtuosité viennoise), le tout dans une ambiance tendue au couteau. Je connais ce disque par coeur, mais il me scotche à chaque fois.

Dans les deux concertos, les mêmes qualités, malgré l'écart dans le temps: tout le monde joue en même temps, les instruments se répondent (dans le Tchaikosky il y a même un moment où le soliste accompagne, discrètement, un solo d'orchestre) -- mais surtout ils n'imitent personne. L'invention, l'engagement sont juste là. On entend certes la jeunesse de Currentzis et de sa soliste, leur véhémence, leur enthousiasme, mais ce qui les rapproche, etc.

On a toujours du mal à partir à la fin de ces concerts, alors on a joué un peu de ce classique:
Et je dois dire, en toute indépendance, que, dans cette version 24bits et avec ce système, j'ai eu l'impression que je n'avais jamais entendu ce disque que nous connaissons tous par coeur. La richesse harmonique est bien plus grande que dans tous mes souvenirs, et ça sonne comme un piano, en plus de sonner comme du Gould. J'en suis encore tout chose.  

dimanche 10 janvier 2016

Ce lundi: Currentzis/Tchaikovsky/Stravinsky ou l'Orfeo?

J'hésite pour demain entre deux disques. Uns visiteuse récente voulait entendre plusieurs versions de l'Orfeo de Monteverdi et celle-ci a particulièrement frappé mon attention, parce qu'elle avait en même temps le côté baroqueux et un enthousiasme que je comprenais immédiatement (il faut dire que l'enthousiasme non bridé du percussionisme impressionne les esprits faibles comme le mien):
Mais voilà-t-y pas qu'en trainant sur Qobuz sauvé des eaux (et en me disant que je suis bien obligé d'acheter le nouveau Bowie, non?), je m'avise que Teodor Currentzis a commis un nouveau disque:
Je trouve que Currentzis est une étoile filante qui rafraichît le paysage musical comme il y en a peu. Jeune (il a mon âge), grec qui emergea d'abord au fin-fond de la Sibérie (à l'opéra de Novosibirsk), il s'est d'abord fait remarquer avec des productions d'opéra décapantes avec un autre trublion décapant, le metteur en scène russe Tcherniakov: voyez leur Wozzeck, leur Macbeth, à la galerie si vous voulez. Mais il y eut surtout, après un déménagement à Perm, Ukraine, des Nozze  qui sont devenues un classique immédiatement, suivies l'année suivante d'un Cosi moins incontestable et cette année, nous annonce-t-on, d'un Don Giovanni possiblement génial. Il y a aussi eu un Requiem de Mozart décapant et formidable, un Sacre du Printemps sans concession, un Chostakovitch terrifiant et tout en russe... 

Or le jeune homme a une énergie, une sincérite et une culture tout en décalage avec notre époque. Il suit son chemin, cherche les racines des oeuvres et de leur inspiration, et combine sens du détail et enthousiasme. Clairement il ne suit le chemin de personne, et il n'y a jamais rien de routinier, de mécanique ou d'insignifiant dans son geste. J'aimerais pouvoir dire que c'est le cas de tous nos "grands" artistes, mais je n'en suis pas convaincu. 

Qu'en pensez-vous ? Venez, on votera en cas de désaccord (c'est à 20h au 18, bd Voltaire). Ou bien on écoutera une plage de l'un, une plage de l'autre ;-)

jeudi 7 janvier 2016

Mardi dernier: Levine, Das Lied von der Erde, Norman, Jerusalem, Berlin

Pour ceux, et il en était ce soir-là, formé au Chant de la Terre par Kathleen Ferrier et Bruno Walter, cette version peut sembler froide et artificielle. Et certes la grande Jessye Norman n'a rien de la fragilité d'une Ferrier mourante, vraie "candle in the wind". Mais au contraire, sa santé, son ampleur insolente, ses aigus qui défieraient presque les lois de la physique, en tous cas celles de l'orchestre, font de ce Chant plus un monument neuf qu'un filet d'eau brisé. Siegfried Jerusalem, aussi, est en grande forme, l'expression ne disparaissant jamais derrière la performance, les difficultés de ses Wagner bien loin dans cette partition facile en comparaison. Mais la vraie star est ici l'orchestre, d'une splendeur ineffable et de tous les instants, riches de milles variations, petits reflets, de la virtuosité jusque dans les plus subtiles harmoniques, et la justesse d'expression, le dialogue musical et la finesse dont est capable Levine dans sa maturité. C'était (encore) une de ses soirées où ni la parole ni le geste ne reviennent tout de suite après les dernières mesures, malgré l'heure tardive (on avait fait précéder ce Chant de quelques crèpes chez Imogène...). Lien vers le disque.