dimanche 4 septembre 2016

Parsifal à Bayreuth: Klausflorianzauber

La nouvelle mise en scène de Parsifal à Bayreuth, dûe à Uwe Eric Laufenberg, avait défrayé la chronique avant même qu’on ne la voit: elle risquait d’offenser des musulmans, et on avait prévu un dispositif policier inhabituel pour protéger les festivaliers de la menace. L’anxiété était renforcée par des attentats en Allemagne dans les semaines précédents l’ouverture du festival; et puis le chef prévu (Andris Nelssons) se retira aussi quelques semaines avant la première, on racontait que le directeur musical du festival se permettait de diriger par dessus son épaule pendant les répétitions.

Au total, tout cela ressemble à une opération de communication qui aura assuré du buzz et de la publicité gratuite. Il y a bien quelques femmes voilées de ci de là, et quelques “manifestement musulmans”, mais la mise de Laufenberg peut difficilement être dite choquante. C’est même devenu étonnant, à Bayreuth, une mise en scène qui ne bouscule pas.
Absence de choc mise part, c’était une bien belle mise en scène de Parsifal -- la direction d’acteurs était fine et efficace, la dramaturgie plus encore, avec des situations très lisibles, très justes. Même au premier acte (mais moins qu’aux deux suivants), Laufenberg échappe à la tentation de l’immobilité qui guette avec des idées simples mais justes, et surtout très bien réalisées.

La longue exposition -- jusqu’à l’arrivée de Parsifal -- nous place dans une église chrétienne en Irak occupé, siège d’une communauté vivante avec ses bons moments (les pauvres hébergés dans l’Eglise pendant la nuit/le prélude ; les échanges entre les moines et la population locale…), et ses points aveugles (un enfant tombe en même temps que le cygne abattu par Parsifal mais la communauté ne s’indigne que du second ; Kundry est maltraitée par la foule parce qu’elle est une femme voilée qui revient d’Arabie…). Le héros nous apparaît comme un jeune homme de bonne famille trop simplet, qui ne sait pas ce qu’il cherche, ni vraiment ce qu’il est venu faire dans cette partie du monde, avec son brushing et ses fringues de créateurs. Le rideau se baisse pendant la Musique de transformation pour devenir écran, et nous emmène par l’esprit de cette petite Eglise aux confins de l’Univers, avant d’y revenir -- ce classique de la méditation n’a rien d’original, mais il fonctionne tout à fait dans la salle quasi-obscure du Festspielhaus, faisant de cette transformation un phénomène psychique banal et familier plutôt qu’une transsubstantiation mystérieuse (“zum Raum wird hier die zeit”).

La réticence d’un Amfortas très explicitement christique à l’office du Graal n’est pas non plus bien mystérieuse, quand on voit que ledit office consiste à le saigner quasiment comme un cochon pour recueillir son sang (“Nehmet Ihr meinen Blut”). Les éclairages, très réussis comme souvent à Bayreuth, nous montrent un office nocturne, toutes portes fermées, à la fois ésotérique et clandestin.

Le monde de Klingsor, au deuxième acte, est un monde d’orient, entre hammam et harem, bleu et blanc, et la mise en scène regorge d’autres bonnes idées simples, à commencer par la présence quasi continue, muette mais non inactive, d’un autre chevalier du Graal, possiblement Amfortas lui-même, qui donne à toute la scène de séduction une dramaturgie inattendue mais très immédiate. Avant cela la scène des filles fleurs est authentiquement sensuelle avec son côté “orient de pacotille”. Les filles fleurs déshabillent Parsifal, qui apparaît comme soldat américain armé jusqu’au dent, et l’entrainent dans la piscine, mais avec l’arrivée de Kundry, l’objet sexuel redevient petit garçon qui parle à sa maman depuis son bain. Elle le sèche, le sort. Pour contraster avec la séduction grossière (quoiqu’efficace) des Filles fleurs, on amène une table pour dîner en tête-à-tête, on verse du vin… La magie du théâtre est que cela suffit, et Parsifal et Kundry ne s’assient même pas à cette table (par contre je pense qu’est là que le chevalier possède Kundry à un moment). La folie de Klingsor est simplement celle d’un fanatique, pratiquant l’auto-flagellation et collectionnant les crucifix, y compris celui qui fait aussi godemiché et lui sert apparemment à contrôler Kundry. Pour que son monde s’écroule, il suffit de faire tomber les crucifix du mur. Parsifal, qui a remis son barda une fois qu’il a vu clair dans le jeu de Kundry, Brise la lance pour en faire une croix chrétienne, et repart dans l’errance.

Le troisième acte est plus efficace encore. Des décennies plus tard, Kundry et Gurnemanz tiennent à peine debout, se partagent un fauteuil roulant, et Parsifal est un vieux guerrier, devenu “force spéciale” tout en noir (comme il est écrit dans le livret). L’action se situe dans une plus petit église, dans une jungle tropicale luxuriante et étouffante, vraisemblablement quelque part en Amérique centrale (pas de carte ce coup-ci), peut-être dans un pays qui n’est pas occupé, ou en tous cas loin des endroits qui le sont. On comprend que Parsifal ait mis longtemps à les retrouver, et avec ce petit changement de décors (on a rapproché les panneaux et rajouté des plantes) et suggérée toute une errance, planétaire. L’enchantement du Vendredi Saint s’incarne en une pluie tropicale paradisiaque, façon Tahiti douche, les femmes se déshabillent pour en profiter, elles prennent soin de Kundry aussi. Pendant que Parsifal, Gurnemanz et Kundry prennent l’avion pour aller aux funérailles de Titurel en Irak (j’imagine), le flux envahit l’écran à nouveau, et nous voyons des masques mortuaires de Kundry, de Titurel, et de Wagner s’y abîmer. Pas de cadavre de Titurel dans le cercueil de la scène finale, seulement des cendres, déjà, qui glisse entre les mains du Fils -- très belle scène d’Amfortas à nouveau. A la fin l’Eglise s’ouvre tout simplement, pour révéler le plateau nu ; la foule, multi-confessionnelle, multi-ethnique, se retire en fond de scène d’où elle nous regarde à travers les nuées, éclairées de côté, réminiscente de la fin du Crépuscule de Chéreau d’il y a quarante ans: un peuple libéré, livré à lui-même.
On le voit, pas de thèse révélatrice, pas de concept fulgurant, pas de provocation -- juste un travail soigné pour essayer de raconter aujourd’hui comment on peut rechercher la compassion, l’amour, retrouver la communauté et échapper au communautarisme, sauver le sauveur. Je ne sais pas si ça fera date, mais j’y retournerai avec plaisir.

Pour moi, la seule ombre au tableau est le chef, Hartmut Haenchen, vétéran wagnérien appelé à la rescousse suite au retrait d’Andris Nelssons. Je ne lui dénie pas toute qualité: il sait jouer doucement, faire ressortir des contrechants, et il a de très beaux moments. Je ne lui dénie que l’essentiel: la direction est monotone, sans progression ni caractérisation des épisodes.
Klaus Florian Vogt en Parsifal est impressionnant d’aisance, de beauté et d’expressivité quand on est dans la salle du Festspielhaus. Peut-être convient-elle particulièrement bien à sa voix, à laquelle, à l’inverse, les micros ne rendent pas justice. Georg Zeppenfeld est magistral en Gurnemanz -- beau musicalement, suprêmement articulé (on comprend tout), incarnation juste et retenue. Mention spéciale également à l’Amfortas de Ryan McKinny, qui paye beaucoup de sa personne et de son corps d’athlète, mais qui chante encore mieux quand il est habillé. Un bien beau spectacle dans l’ensemble, fut-il “sans concept”. Après le coup de génie de la mise en scène de Herheim (2008-2012), il était probablement avisé d'explorer une direction différente. Commandez vos places pour 2017 à partir du 7 septembre (même si KFV sera remplacé par Andreas Schager: c'est bien aussi).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire