vendredi 3 février 2017

Lohengrin à l'Opera de Paris

Afficher l'image d'origine
Musicalement, c'était ce que c'était: de bonne tenue, avec des chanteurs fatigués, sauf Michaela Schuster, magique en Ortrud magnétique. Il s'avère que le micro ne l'aime pas, mais l'entendre est vrai m'a fait comprendre sa réputation. L'orchestre de l'Opéra et Philippe Jordan de plus en plus en forme pendant que la soirée avance, et toujours au service du spectacle à défaut d'en constituer le clou.

C'est la mise en scène de Claus Guth qui ce clou du spectacble (à mon avis), parce qu'elle redonne du sens à un opéra romantique qui était perdu entre des interprétation traditionnelles débiles (le chevalier dans son armure brillante amoureux de la petite sotte qui promet de ne pas lui demander son nom, mais elle ne peut pas s'en empêcher, tu vois...), et des interprétations modernes ou la déconstruction peut tourner à la destruction (la foule des souris chez Neuenfels, le Lohengrin pervers pépère chez Konwitschny, l'illusioniste chez Herheim).

Comme dans son Rigoletto vu l'année dernière, Guth part du contenu émotionnel de l'opéra ("romantique") et travaille à le faire vivre sur scène: l'attente, le désespoir, le rêve, les doutes, la chair, la trahison... Avec les couleurs, avec les acteurs, avec des représentation simples Guth rend palpable ce qui, est à mon avis, toujours le vrai sujet chez Wagner: les affres de la vie intérieures, des hésitations et des pulsions. Wagner est bien plus freudien qu’épique, ou philosophique.

Au deuxième acte, un simple lâcher de confettis depuis le balcon sur une Elsa en robe blanche nous montre d'une image le bonheur prêt à être détruit. Au troisième, quand tout est consommé, c'est-à-dire que Lohengrin a tué Telramund et été rejeté par Elsa, c'est une simple plume blanche venue des cintres, qui matérialise tout l'écroulement. Au premier, un semi-ange-enfant, rêve d'Elsa, devient le rêve de toute la foule, celui du peuple, celui que le roi compte bien utiliser pour sa campagne de Hongrie... Les images parfaites, bouleversantes, abondent dans ce spectacle profond, fouillé.

Elsa est une jeune femme blessée, qui peine à exister au milieu des riches et puissants qui sont son entourage. Elle est prise entre un Telramund manipulé par sa (magnétique) sorcière de femme, et un roi qui a soif de conquêtes et de pouvoir (un roi, quoi). Elle, elle avait son frère, depuis tout petit, et puis il a disparu. Et en plus, les gens qui sont censé la protéger l'accusent d'avoir tué son frère par soif de pouvoir. Elle, elle rêve d'un beau chevalier, de pureté, et d'être sauvée. De son côté, seulement: la foule. Alors quand, pour seule défense à son procès, elle dit que son chevalier va venir la défendre, et que, bien sûr, personne n'arrive, la foule décide de faire comme si. Oh là là le miracle, Elsa, je t'assure, le voilà, ton chevalier et tout. Elle est folle, mais ils l'aiment, ils vont lui mentir, adoucir son sort. Et paf, au milieu de la foule, un inconnu tout bizarre est apparu, en position fœtale, nous tournant le dos, parlant à son cygne dans son sommeil. Il est arrivé un miracle, qu'on se racontait sans y croire, mais qui n'est pas du tout ce qu'on attendait, mais c'est un miracle quand même. Tout le monde veut y croire, et on peut passer au jugement de Dieu, c'est-à-dire le combat à l'épée entre l'accusateur d'Elsa et son chevalier bizarre,

Un envoyé de Dieu n'a pas forcément une armure brillante et des super-pouvoirs. La tradition chrétienne, c'est même plutôt le contraire. Guth nous offre un Lohengrin qui n'est qu'un homme, et même un peu moins -- une espèce de pariah, peut-être un peu autiste, perdu, pieds nus, tout froissé. Sa pureté est aussi ignorance, naïveté. C'est bien le fils de cet abruti de Parsifal, après tout. Qu'il dit. Les miracles arrivent: il apparaît, il triomphe de Telramund (et clairement lui-même n'a aucune idée de comment ça a pu arriver), et quand il est parti, à la toute fin, il revient (des morts? de Montsalvat? du coma?) quelques secondes le temps de ramener un terrifiant petit frère, dé-disparu, nouveau Führer du Brabant (c'est marqué, c'est pas moi qui le dis).

On partage les doutes d'Elsa, ceux du peuple, et ceux de Lohengrin. D'un bout à l'autre, on se demande si ce drôle de bonhomme ne pourrait pas, après tout, être vraiment un émissaire divin. Ou juste un simple, patient échappé de l'asile. Le deuxième acte est la démonstration de son impuissance devant ces doutes, devant un monde pour lequel il n'est pas fait. Il n'est certes pas en son pouvoir d'empêcher sa fiancée de douter de lui, encore plus quand elle est travaillée, avec des arguments solides, par la sorcière et son mari.

Au troisième acte, à la création de ce spectacle à la Scala en 2013, la scène de la chambre culminait en un viol: comme il lui impose le silence, Lohengrin tentait de s'imposer à Elsa, et quand elle lui demande son nom, elle le fait autant pour se défendre, pour le neutraliser et le remettre à sa place, que par une curiosité ou une angoisse incontrôlable. Surgit Telramund, que Lohengrin tue à coups de bâtons: dans ce double basculement, le viol et le meurtre, s'envole l'idée de la pureté absolue, le rêve de salut. Le viol a disparu, et je comprends pourquoi quand j'entends des ricanements dans la salle dès que le gros chanteurs et les vieilles chanteuses essaient de s'asseoir par terre, plus encore de figurer de l'érotisme. Dommage quand même, à mon avis, la scène perd en intensité avec la possibilité d'un Lohengrin monstrueux, c'est-à-dire trop humain. On a quand même gardé la combativité d'Elsa dans cette scène, l'idée qu'elle cherche à le remettre à sa place.

Il reste quelques représentations. J'essaierai de m'y glisser, et je vous conseille de faire de même. Après le départ du beau Jonas, il semble que les places soient plus faciles à trouver. Plein d'images ici: https://www.operadeparis.fr/saison-16-17/opera/lohengrin/galerie#slideshow0/6

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire